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Covid-19 en RDC: impacts et perspectives, par Jean-Claude Masangu

Le covid-19 a profondément bouleversé les perspectives politique, économique et sociale pour l’année 2020 en mettant une très forte pression sur les gouvernants et dirigeants du monde entier.  Vaincre le coronavirus, limiter le nombre de décès et dommages collatéraux, relancer l’économie et ainsi revenir à une vie « normale » devient le challenge d’aujourd’hui.

Commencée fin 2019 en Chine, le covid-19 s’est propagé à une vitesse exponentielle dans le monde entier. Au 13 mai 2020 le bilan sanitaire se présente comme suit: plus de 4 millions de cas de contamination déclarés dans le monde, plus de 49 mille en Afrique dont 1.169 en RDC. Quant au nombre de décès, il se chiffre à plus de 285 mille dont 1.500 en Afrique et 50 en RDC (statistiques de l’OMS nro 114).

Pour combattre le virus, la plupart des grandes puissances touchées ont appliqué une politique de confinement de leur population provoquant ainsi l’arrêt de l’économie mondiale, des échanges commerciaux et, par ricochet, la paralysie des économies africaines dont celle de la RDC.

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Ainsi afin d’endiguer la crise sanitaire et d’atténuer son impact négatif sur l’économie, bon nombre de gouvernements accompagnés de leurs banques centrales et d’autres institutions financières nationales et internationales ont sorti la grosse artillerie sous forme d’actions massives sur les plans politique, juridique, sanitaire, scientifique, budgétaire, fiscal, monétaire voire même militaire.

Les coûts de la riposte à la pandémie sont faramineux et s’élèvent bien au-delà des milliards de dollars américains. C’est pourquoi la plupart des principales économies du monde ont décidé de dé-confiner progressivement leurs populations et de relancer leurs économies à partir de ce mois de mai sans toutefois réouvrir leurs frontières retardant ainsi la reprise du commerce mondial et des vols passagers internationaux.

I. Evaluation de l’impact socio-économique du covid-19 en RDC

– Le premier impact se traduit par une chute vertigineuse des importations et exportations ainsi qu’une rupture des chaînes de production et d’approvisionnement. Par ailleurs, les prix des matières premières que nous exportons ont aussi chuté. Et par conséquent, les recettes en devises s’amenuisent. Ainsi à terme, l’offre intérieure des biens et services pour la plupart importés deviendra inférieure à la demande d’où le risque d’une hausse généralisée des prix, d’une dépréciation prononcée du franc congolais et d’une instabilité financière.

– Le second impact touche le taux de croissance économique de l’exercice 2020 initialement arrêté à 5,4 % et revu une fois de plus à la baisse à -1,9 % par le Comité Permanent du Cadrage Macroéconomique (CPCM). Donc, pour mieux identifier et soutenir les secteurs clés les plus affectés par la pandémie, il serait important d’obtenir du CPCM le taux de croissance hors-industrie extractive pour chaque secteur clé de l’économie.

– Le troisième impact concerne le marché des biens et services où les prix s’emballent, spécialement ceux des denrées alimentaires et boissons qui pèsent 62 % dans les articles composant l’indice des prix. Le taux d’inflation de 6,5 % prévu fin 2020 sera donc largement dépassé et atteindra probablement 10 % voire même plus selon les scénarios les plus pessimistes.

– Le quatrième impact affecte le taux de change. En effet, il s’observe depuis le mois d’avril sur le marché de change une très forte dépréciation  de la monnaie nationale passant de 1.750 à 1.850 FC/USD et la barre de 1.900 FC/USD pourrait être franchie. Par ailleurs, l’écart entre le taux de change indicatif et parallèle ne faisant que se creuser, le risque d’atteindre le point où les particuliers et agents économiques soient tentés d’opérer sur le marché parallèle plutôt que sur le marché bancaire pour échanger leurs avoirs en devises s’accroît également. La spirale de dépréciation du franc et de l’augmentation des prix est alors à craindre si ce phénomène persiste.

– Le cinquième impact est sur les finances publiques qui étaient déjà déficitaires avant l’apparition du coronavirus suite à une insuffisance de mobilisation des recettes. La pandémie ne fait qu’aggraver cette situation. Et il va de soi que plus la crise sanitaire durera dans le temps, moins l’Etat mobilisera des recettes et les difficultés financières s’amplifieront.

– En d’autres termes, la RDC de part elle-même n’a pratiquement pas de marge de manœuvre pour faire face à l’augmentation des dépenses sociales et de santé dues à la pandémie et encore moins à ses conséquences. Or si elle recourt comme le font certains pays occidentaux au financement de la Banque Centrale, c’est-à-dire à la planche à billets, elle s’enfoncera davantage dans un cycle de hausse des prix et de dépréciation de notre monnaie nationale.

– Par conséquent et à court terme, la RDC tout en se faisant violence, a besoin du secteur privé pour des aides ponctuelles en espèces ou en nature ainsi que des partenaires bilatéraux et multilatéraux pour des dons, prêts concessionnels, appuis budgétaires et appuis à la balance des paiements. Elle a également, ensemble avec d’autres pays africains, besoin de négocier une suspension ou un rééchelonnement du service de sa dette (+/- USD 225 millions par an) et si possible d’obtenir une annulation pure et simple comme ce fut le cas à l’époque de l’initiative pour les Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) des années 2000-2010 qui a vu la RDC bénéficier au 1er juillet 2010 d’une remise de dette de USD 11 sur 13 milliards. Pour cela, elle peut se prévaloir d’être un pays fragile à faibles revenus en proie à des crises sécuritaire et humanitaire.

– Et enfin, le sixième impact se rapporte aux Budget national et Plan de trésorerie en cours devenus obsolètes. Il faudrait donc soumettre au Parlement un collectif budgétaire pour l’exercice 2020. Et, pour mieux faire encore, le gouvernement pourrait également présenter un Cadre Budgétaire à Moyen Terme allant de 2021 à 2023 pour exprimer sa volonté de continuité dans son action et ainsi afficher une meilleure lisibilité des exercices à venir, post-pandémie.

II. Eléments du plan de relance à moyen terme de l’économie de la RDC ou l’après covid-19

(A) Pour le Gouvernement :

– C’est ici l’occasion de féliciter le gouvernement pour les mesures decisives de riposte déjà prises et l’encourager à en prendre davantage.

– Le covid-19  nous donne une opportunité unique pour :

– * (1) repenser  la vision et le modèle économiques de la RDC sur un horizon de 20-25 ans ;

– * (2) remettre en question nos stratégies de développement et d’intégration panafricaine ;

– * (3) adresser résolument par des réformes profondes les difficultés structurelles majeures nous empêchant de maximiser nos ressources internes, de stimuler une croissance économique durable et inclusive pour enfin profiter des économies d’échelle en construisant les infrastructures de base et de réseaux numériques nécessaires, en éliminant les tracasseries et autres barrières administratives, en réduisant les coûts élevés du transport, de l’électricité et des télécommunications, etc,…

– Afin d’augmenter la résilience économique et sociale, il conviendrait d’orienter tous nos efforts dans le sens d’augmenter les capacités locales de production et de l’offre en biens et services. Compter sur soi-même d’abord, compter sur soi-même avant tout et compter sur soi-même par dessus tout ! Nos partenaires viendront en appui.

– Tirant les leçons de nos lacunes dans le domaine de la recherche scientifique, renforcer les capacités de nos universités et instituts de recherche pour qu’à l’avenir elles puissent mieux prendre en charge les questions liées à la recherche-développement et l’innovation technologique. Et par la même occasion, en profiter pour revisiter notre système éducatif de base, investir dans le capital humain et préparer un meilleur avenir pour nos générations futures.

(B) Pour l’économie :

– Dans la quête de la diversification de l’économie, la Banque Centrale du Congo devrait mettre en place :

– * (1) une politique d’accès au crédit pour les différents maillons des chaînes d’approvisionnement locales en biens et services de première nécessité et de consommation de masse afin de permettre aux entrepreneurs de produire, transformer, consommer et créer des emplois localement ;

– * (2) des mécanismes de garanties de prêts bancaires donnant aux micros, petites et moyennes entreprises (MPME) ainsi qu’aux commerçants l’accès aux crédits tout en protégeant les banques contre le risque de non- remboursement.

– L’Autorité monétaire devrait exiger et imposer une plus importante capitalisation des banques (bien au-delà des USD 50 millions en vigueur) pour induire l’accroissement du volume des crédits octroyés par celles-ci. En effet, la hauteur des financements à l’économie à fin 2018 ne représentait que 5,5 % du PIB, soit USD 2,6 milliards dont 37 % seulement était à moyen et long terme.

– Parallèlement, l’Institut d’émission devrait promouvoir l’émergence de banques spécialisées notamment agricole, d’habitat et d’investissements. 

– Et pour compléter l’arsenal de la Banque Centrale, le ministère des finances devrait promouvoir la création d’une bourse de valeurs mobilières afin d’offrir à l’Etat congolais et aux entreprises une nouvelle source de levée de fonds et des produits financiers autres que ceux offerts par les banques, assurances et institutions de microfinance.

– Et enfin sur le plan de la mobilisation des recettes, l’objectif est de se rapprocher de la moyenne africaine des prélèvements fiscaux de 17 % du PIB (contre 8 % en RDC), de combattre la fraude et contrebande aux frontières, de simplifier le système fiscal et réduire la pléthore des taxes existantes et d’introduire le paiement électronique des taxes et impôts.

III. Conclusion

– Les mesures budgétaires, fiscales, monétaires et autres ne viendront pas à bout du virus. Seuls les scientifiques vaincront le covid-19. La question fondamentale est : QUAND ? Et sa réponse est : LE PLUS TÔT POSSIBLE.

– Dans l’entretemps, atténuons les dégâts causés et regardons l’avenir avec confiance. Armons-nous de courage, impliquons toutes nos intelligences pour tirer les leçons de cette pandémie et de nos erreurs passées afin de vraiment bâtir un pays plus beau qu’avant. Une volonté forte et commune est la meilleure arme. Alors, utilisons la !

Jean-Claude Masangu Mulongo
Gouverneur Honoraire de la Banque Centrale du Congo

1 comments
  1. L’exécution parfaite du programme d’urgence du chef de l’Etat aurait pu nous permettre d’améliorer notre résilience économique. L’amélioration des infrastructures routières, par exemple, allait faciliter la circulation des produits. Kamerhe et sa bande en ont décidé autrement et nous sommes obligés de rester dans des théories qui ne nous font pas avancer.

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