Multipartisme : ce monstre venu de l’occident

Il y a 27 ans, le Maréchal Mobutu Sese Seko, alors Guide suprême de ce grand pays au cœur de l’Afrique, décidait, contre son gré, de retenter l’expérience du multipartisme, ce vieux démon que tous ceux qui arrivent au pouvoir redoutent tant. Chronique d’un apprentissage douloureux.

Bien avant même l’indépendance, la Belgique toute puissante propriétaire du Congo était perplexe au sujet d’une autonomie politique aux autochtones congolais non-initiés. Le fameux programme des évolués dont a bénéficié un certain Patrice Lumumba devrait donc aider à éduquer les meilleurs d’entre nous, pour ainsi succéder aux vieux colons, qui sentaient la pression populaire monter contre leur règne sans partage sur une contrée quatre-vingt fois plus grande que la leur.

A chacun son indépendance

Quand mille neuf cent soixante arrive, avec le vent des indépendances, les belges n’avaient plus le choix. Il fallait partir. Quitte à décréter une indépendance à la hâte et de surface. Sans jamais l’octroyer à la bande à Lumumba. Les belges instaurent visiblement une démocratisation non préparées, qui allait être aussi fatale au pays que la colonisation elle-même. Pendant que Grand Kallé entonnait son légendaire « Lipanda tu Bakidi », Kalonji, Lumumba, ou encore Joseph Kabavubu n’allaient même pas attendre le lendemain de ces célébrations pour déclencher les hostilités entre eux. Les belges sont partis, chacun voulait son indépendance. Quitte à morceler le pays. Tshombe, bien aidé par les Occidentaux qui n’en voulaient pas de cette indépendance, met le feu au Katanga. Le pays s’embrase. La démocratie a fourni le briquet

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Mobutu, lorgnant sous l’épaule de Lumumba, y verra une bonne occasion de prendre les reines, tandis que les ABACO, MNC, MNC-L, MNC-K, PNP, PSA, PUNA, UNIMO, CONKAT et sept dizaines d’autres groupements politiques nés dès l’aube du 30 juin 1960 se querellaient la représentation du peuple. Visiblement, ces gens ne savent rien de la Démocratie occidentale. Mobutu prit le Pouvoir, dans un long processus maquillé, tout en prenant le temps d’étudier le problème. Entre 1960 et 1967, Joseph-Désiré Mobutu conclut ainsi que la démocratie, autrement appelée « Multipartisme » à l’époque, était le mal. 20 mai 1967, le Mouvement Populaire de la Révolution est créé. Un seul chef, un seul parti, un seul peuple. Même les fœtus seront nés révolutionnaires. L’économie, toujours dominée par des ressortissants belges, qui auront visiblement trop aimé le Congo, est alors Zairianisée. Exit Joseph-Désiré, retour à l’authenticité. Benjamin Litsani Choukran, devient simplement Litsani Choukran. Exit démocratie.

Nous vivions paisiblement. Dansant et chantant à la gloire de notre Guide bien-aimé, au rythme de trois repas par jour. Jusqu’à la chute de ce fichu mur de Berlin. Scellant les liens de complicité aveugle entre l’Occident et le Maréchal Roi du Zaïre. Jusque cet après-midi-là, du mardi 24 avril 1990. Où le Maréchal, en pleure, décide de retenter l’expérience du multipartisme, dans une formule qui restera toutefois sujet à débats.

« Le problème c’est la démocratie »

Le problème. Lorsque le président Mobutu accepte finalement de partager son pouvoir, il ne le fait de bon cœur. Ni de sa propre volonté, encore moins, dans une certaine mesure, par celle des concitoyens. Savent-ils vraiment quelque chose de cette étrangère démocratie ? Pressé par l’Occident, qui du reste à ses propres visés sur un Continent noir qui constitue, à l’issue d’une saignante guerre froide contre l’Orient russe, l’unique réservoir des richesses pour la reprise des économies occidentales en dérive ; Mobutu applique à sa manière ce système politique auquel il n’a jamais cru ; lui un homme ancré dans les valeurs traditionnelles et guidé par le souci de voir son pouvoir s’élargir indéfiniment. Le Maréchal n’a que faire de partager sa domination avec un Premier ministre comme Étienne Tshisekedi, qui n’est autre que l’un des fondateurs même du MPR en 1967.

Du côté de la population, ce monstre du multipartisme venu de l’occident reste tout aussi moins compris. Pour les uns, il s’agit avant tout d’avoir le droit de porter une cravate. Alors que les autres, se précipitaient à retrouver leurs prénoms occidentaux : Aligne Génévieuve Engbe est de retour.

La situation économique désastreuse, contrastant à l’abondance des premières années de Zairianisation, poussait certains à rêver d’une d’un retour à la normale, d’un coup de bâton magique ; oubliant ainsi l’hégémonie occidentale qui, comme Mobutu, comptait bien faire main basse des richesses de ce scandale géologique. Et lorsque le Maréchal, affaibli, rencontre l’impatience de l’occident, c’est finalement une solution militaire qui sera de mise : avec la fameuse Alliance des Forces démocratiques de Libération (AFLD).

Comme souvent, ceux qui triomphent par les armes doivent ainsi se faire justice, Laurent-Désiré Kabila, arrivé au pouvoir le 17 mai 1997, n’allait pas du tout être le démocrate tant attendu. Alors que Rwandais, Ougandais et occidentaux réclamaient leur butin de guerre ; Mzee, comme Mobutu, découvre finalement le monstre de l’occident : le multipartisme.

Kabila, l’inattendu démocrate

Kabila père n’hésitera pas à s’opposer à cette démocratie occidentale, dans son Comité du Pouvoir Populaire (CCP), où il fera étrangement appel aux anciens mobutistes, pour faire face tant aux velléités populaires de liberté et de démocratie, qu’à des agresseurs qui lorgnent, encore une fois de plus, sur les riches du grand Congo. Assassiné en janvier 2001, Mzee sera consacré Héros national. A ce juste titre, il est curieux de constater que les populations du Congo peuvent passer outre la démocratie, pour se satisfaire de leurs dirigeants. Laurent-Désiré Kabila passe le flambeau à son fils, dans une succession qui est loin d’être démocratique.

Militaire, Général-Major, dénué de toute formation politique à son arrivée au pouvoir, Joseph Kabila allait drôlement être l’homme par qui la réalité rêvée du multipartisme pouvait finalement être de mise en République démocratique du Congo. Après des longues tractations avec la pléthorique bande des chefs rebelles et leurs commanditaires, c’est  finalement le 19 avril 2002 à Sun City, en Afrique du Sud, que le pays entier allait basculer dans la démocratie : un président élu pour deux mandats non renouvelables, un parlement, des institutions démocratiques… la RDC allait cesser d’être démocratique que de non. Mais, voilà, comme souvent dans ce pays, le problème n’a jamais été celui de signer des documents, met plus tôt de les mettre en pratique.

Le douloureux apprentissage à la démocratie entamé depuis avril 1990 allait connaître les premières élections démocratiques en 2006. Ne comptez néanmoins ni sur les Kabilistes qui auront profité de leur mainmise sur les ressources de l’Etat pour influencer ce scrutin, encore moins sur un Jean-Pierre Bemba au sang chaud et surarmé pour que le résultat de ces élections se soient considérés de manière apaisée, comme le souhaite la nouvelle constitution votée par référendum le 18 décembre 2005.

Kabila triomphe dans les urnes et par les armes. Bemba part en exile. C’est le début d’une décadence de la démocratie. Le président, âgé alors que de 35 ans et qui a toute la vie devant lui, n’allait pas accepter les dicta de la population. Les élections de 2011, assorties d’une modification de la constitution qui la rend encore moins démocratique, seront plus que désastreuses. Des rues de Kinshasa pavées de sang, une prestation de serment boudée par tous les amis de la Démocratie du monde entier.

Ressaisissons-nous

Joseph Kabila qui s’avère finalement être aussi peu enclin au multipartisme que Mobutu Sese Seko, aura néanmoins le mérite de ne pas l’avoir aboli, instaurant en place un cantonnement qui rend l’exercice démocratique profitable qu’au pouvoir en place. L’avenir s’assombrit

En décembre 2016, alors que le Président arrive à la fin de son deuxième et dernier mandat, les élections sanctionnant son départ n’auront pas lieu. Systématiquement éludées par le Pouvoir. Un accord est signé pour garder les institutions en place, tout en partageant la gestion du pays, dans une transition qui n’est pas sans rappeler celle des années 1990.

27 ans après les larmes de Mobutu, la démocratie dans ce pays au cœur de l’Afrique est un véritable cas d’école. Jamais ceux qui sont au pouvoir n’en ont voulu. L’Occident qui la prêche, ne la veut que quand celle-ci arrange ses intérêts, alors que ceux qui militent en safaveur, au sein de l’Opposition politique, ont souvent aussi péché par l’incompréhension même de ses fondamentaux. Etienne Tshisekedi qui aura régné sans partage dans son UDPS, passe visiblement le flambeau à son fils, dans une succession dynastique. Moïse Katumbi, qui a rejoint entre-temps l’opposition, va jusqu’à affirmer que l’accord du 31 décembre dernier était seul garant de légitimé des institutions du pays, une façon bien tronquée de voir les choses, lorsqu’on aspire à la démocratie.

La démocratie ne doit être appliquée que par ceux qui sont au pouvoir. Les leaders de l’opposition exclut, auto-exclut toute voix discordante de leurs organisation. Nous vivons ainsi dans un reflux de confusions engendré par tous. L’apprentissage de la démocratie allait s’avérer très douloureux. Le monstre venu de l’occident n’est pas facile à dompter.

Néanmoins, comme le disait un esprit éclairé : « La démocratie est-elle le moins mauvais des régimes». Certains ont eu des siècles pour l’asseoir, d’autres plus que ça. Le problème dans la situation congolaise est que nous n’apprenons visiblement pas de notre histoire, de nos erreurs. Nous manquons cruellement d’éducation, et de leadership. D’un côté une population abonnée aux excès, de l’autre, des leaders incapables de se sacrifier pour l’idéal démocratique, quand il s’agit de leurs propres sorts. A ce titre, nous devons rapidement nous ressaisir.

Aligne Engbe
Litsani Choukran

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