La boîte de Pandore de Floribert Kabange Numbi

C’est officiel : Moïse Katumbi n’ira pas en vacances avec la justice congolaise. Après des accusations de mercenariat, ou encore une condamnation polémique autour d’une étrange spoliation d’immeuble, l’ancien gouverneur du Katanga est de nouveau visé par une procédure judiciaire. Mardi après-midi, quelques jours à peine après des révélations du magazine Jeune Afrique l’accusant d’avoir détenu une nationalité italienne, le Procureur général de la République (PGR), Floribert Kabange a décidé d’enfoncer le clou en annonçant l’ouverture d’une information judiciaire contre le candidat de la plateforme « ENSEMBLE » à la Présidentielle.

Dans un audio diffusé par Radio Okapi, c’est un PGR très en colère qui jure déjà de faire répondre Moïse Katumbi de son crime supposé. “Nous venons d’ouvrir une information judiciaire en charge de Moise Katumbi pour que le moment venu il puisse répondre de tous ses actes. Comment voulez-vous qu’un individu se sachant de nationalité italienne puisse se présenter devant nos bureaux pour avoir le passeport, la carte d’électeur? Tout ce temps qu’il a passé à la tête de la province, il se prévalait des actes faux, de faux documents.

Craintes du côté du pouvoir

A Kinshasa, beaucoup, même du côté du pouvoir, ne s’attendaient pas à une telle tournure. « Il en fait trop », lance un cadre de la majorité. « Moïse Katumbi est déjà cuit jusqu’au cou. C’est inutile de le victimiser aujourd’hui avec une procédure qui risque de nous sauter à la figure», ajoute-t-il sous le sceau de l’anonymat. En toile de fond, ce cadre craint surtout une valse politique autour de l’épineuse question de double nationalité en République démocratique du Congo.

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En effet, la question de la double nationalité, interdite par la Constitution, est un sujet à polémique. En février 2007, le sujet avait fait l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale. A l’époque, un moratoire de trois mois avait été adopté pour laisser le temps aux différentes personnalités de trancher : respecter la loi et abandonner leur nationalité étrangère ou la garder et perdre leurs postes de députés ou autres. Au final, le moratoire s’est écoulé sans que ce débat ne soit tranché.

«Ce dossier est une véritable boîte de Pandore. Si jamais quelqu’un prouve que Katumbi n’a pas été Congolais durant 17 ans, une période qui va au-delà de son mandat de gouverneur du Katanga, nous aurons des répercussions inimaginables », insiste le cadre de la majorité.

Pour la petite histoire, Moïse Katumbi est né à Kashobwe (dans l’ex-Katanga) en 1964 de l’union entre son père, Nissim Soriano, un juif originaire de l’île grecque de Rhodes, avec une princesse de l’ethnie bemba, arrière-petite-fille du roi Msiri. Néanmoins, l’homme a toujours visiblement détenu la nationalité congolaise, où il a été pendant longtemps gouverneur de l’ex-Katanga, une fonction qui interdit la double nationalité.

« Nommé gouverneur par Kabila »

Président du TP Mazembe, Katumbi a été élu aux élections législatives de 2006 comme député du Katanga avec plus de 100 000 voix, passant également à l’Assemblée provinciale avant d’être élu, en janvier 2007, gouverneur de la province du Katanga avec 94 voix sur 102. Poste qu’il quittera 29 septembre 2015. Toutes ces élections exigent que le candidat détienne la nationalité congolaise.

Ainsi, une condamnation pour « usurpation de nationalité » remettrait en cause toutes les décisions prises par l’ancien gouverneur durant ses mandats publics ; ce risque d’occasionner des répercussions énormes : Moïse Katumbi a notamment dirigé la plus riche des provinces de la RDC, étant à la base de plusieurs décisions et contrats publics.

Par ailleurs, Moïse Katumbi a été condamné le 22 juin 2016 à trois ans de prison dans une affaire de spoliation immobilière. Le jugement, rendu par un tribunal de paix de Lubumbashi, stipule clairement que le concerné est de nationalité congolaise, faisant face au sujet grec Alexender Stoupis. Alors que son procès se poursuit en appel, en aucun moment la justice congolaise n’est revenue sur ces faits.

Deux poids, deux mesures

En outre, si jamais un tribunal congolais arrivait à condamner Moïse Katumbi pour des faits d’usurpation de nationalité, d’autres cas comme celui de Samy Badibanga devraient créer un véritable imbroglio judiciaire au pays.  L’ancien Premier a été éclaboussé, peu de temps après sa nomination en novembre 2017, par une polémique au sujet de sa nationalité belge, abandonnée que plusieurs jours après sa désignation à ce poste. Ainsi, jusqu’à sa nomination, le 17 novembre 2016, Samy Badibanga était en réalité belge et l’Etat le savait. Le ministre Thambwe actera la demande de Badibanga, qui recouvre de ce fait sa nationalité congolaise. Le tout en seulement une journée.

Dans cette saga autour de l’opposant Moïse Katumbi, beaucoup pensent que l’ex-gouverneur est victime d’un acharnement qui ne se cache plus. Déjà l’année dernière, le ministre de Justice et Garde des sceaux Alexis Thambwe a ouvertement accusé l’opposant congolais de détenir une deuxième nationalité. Dans une interview publiée le 21 juin sur POLITICO.CD, le ministre congolais avait confirmé que l’ancien gouverneur du Katanga détenait bel et bien une autre nationalité.

« Je vous assure qu’aujourd’hui il y a une documentation assez importante sur tous ceux qui ont pris une autre nationalité et qui l’ont camouflé à un certain moment. Il appartient à M. Katumbi, s’il sait qu’il est dans cette situation, d’enclencher la procédure prévue par la loi pour recouvrer la nationalité congolaise« , affirmait-il.

« Plus Congolais que les autres »

Derrière cette démarche, le ministre congolais de la Justice fait ouvertement savoir que cette détention de la double nationalité disqualifie Moïse Katumbi de la Présidentielle censée se tenir le 23 décembre prochain. Il cite, pour confirmer sa lecture,  l’article 72 de la Constitution qui interdit à toute personne qui ne dispose pas de la nationalité congolaise d’être candidat Président.

« Nul ne peut être candidat à l’élection du Président de la République s’il ne remplit les conditions ci-après : 1. posséder la nationalité congolaise d’origine ; 2. être âgé de 30 ans au moins ; 3. jouir de la plénitude de ses droits civils et politiques ; 4. ne pas se trouver dans un des cas d’exclusion prévus par la loi électorale. »

La réponse n’a pas tardé. « Vous êtes le Président de la République, vous travaillez avec un gouverneur, dix ans, sans vous en rendre compte qu’il a une double nationalité. Ce gouverneur a été élu à deux reprises, comme député national, comme député provincial… toujours sur une base d’une double nationalité. Il faut qu’on soit sérieux, il faut qu’on nous prouve que Katumbi [n’a pas une double nationalité« , a répliqué Pierre Lumbi l’année dernière.

Etrangement, les choses semblent s’accélérer tant dans ce dossier que dans d’autres affaires attribuées à Moïse Katumbu après de la justice congolaise. En effet, dans cette lettre datée du 18 mars 2018 et dont une copie est parvenue à POLITICO.CD, PGR demande simplement au président de la Cour Suprême de Justice la fixation d’une audience afin de traiter le cas de l’opposant congolais Moïse Katumbi, condamné en première instance à 38 mois de prison ferme, dans une affaire de spoliation d’immeuble.

Entre-temps, plusieurs cas de double nationalité ne sont guère traités. Tharcisse Loseke, à la tête de l’UDPS aile Bruno Tshibala, a, à titre d’exemple, été nommé vice-ministre aux Finances pendant qu’il était encore citoyen belge. Les jours qui viennent risquent de laisser place à une véritable chasse aux sorcières en RDC.

LITSANI CHOUKRAN.

 

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