Les contrats de Lobbying de Katumbi

Première puissance planétaire, les Etats-Unis sont considérés comme faiseurs de rois à travers le monde et plus particulièrement en Afrique. En République démocratique du Congo, au cœur du continent noir, un pays ravagé par une crise politique qui oppose Joseph Kabila à ses rivaux, le soutien américain est devenu une question vitale pour chaque camp.

Le président Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001,  refuse de quitter ses fonctions malgré la fin de deuxième et dernier mandat en décembre dernier. La crise engendrée par ce bras de fer a plongé la RDC dans une situation dramatique.  Des hommes luttent pour lui faire face. Ils sont politiciens, activistes et même d’anciens membres du parti du président congolais.

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Un d’entre-eux incarne cette dualité du côté de l’opposition congolaise. Il se nomme Moïse Katumbi. Ancien cadre du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), l’ex-gouverneur de la riche province du  Katanga veut à présent devenir Président. S’en suit alors une guerre brutale entre les deux hommes.

Dès le premier trimètre de l’année 2016, quelques mois seulement après le départ de Moïse Katumbi du pouvoir, des procès sont initiés contre lui, le forçant à s’exiler en Europe. Cependant, bien loin du pays, l’affrontement entre le pouvoir congolais et son opposant de première ligne continue, les deux camps courtisent alors les faveurs de la Communauté internationale. Aux Etats-Unis, cette séduction a lieu essentiellement autour des activités du Lobbying, des pratiques de plaidoyer auprès de groupes de pressions américains.

Ainsi, à en croire plusieurs documents consultés par POLITICO.CD sur le site du Foreign Agents Registration Act (FARA, Loi sur l’enregistrement des agents étrangers: NDLR), l’ex-gouverneur du Katanga a signé plusieurs contrats, tant auprès des organismes américains que ceux basés à Londres en Grande Bretagne.  Au total sept documents ont été listés et qui sont tous toujours actifs et datent parfois de 2015. La valeur totale des prestations dépasse le 1,5 millions de dollars américains. Trois de ces contrats concernent directement le candidat du G7 à la présidentielle, alors que les quatre autres sont indirectement liés à Moïse Katumbi.

1,5 millions de contrats

Une capture d’écran du site FARA.ORG

Le tout premier, consulté par POLITICO.CD, intitulé « conditions d’engagement », fait état d’un accord entre le président du TP Mazembe et la firme américaine Akin Gump Strauss Hauer & Feld LLP. Il date du 22 avril 2016.  (à lire ici) « Je suis heureux de confirmer que nous vous représentons dans le cadre de conseils et de représentation à Washington, DC dans le but de recueillir le soutien des États-Unis en faveur de la démocratie en Afrique en général, et des élections libres et équitables en particulier en République démocratique du Congo», énonce ce contrat.

Pour 30 000 $ par mois, explique le contrat, Moïse Katumbi est ainsi assisté par ce cabinet américain qui doit faire pression auprès des Etats-Unis. Le contrat conclu est fixé sur une période allant du 1er avril 2016 au 30 novembre 2016, soit pas moins de 210,000 USD.

« Comme nous l’avons déjà mentionné, vous avez accepté de payer les frais initiaux pour les six mois de cette représentation évalués à 180 000 $ en un seul paiement sous la forme d’un virement de fonds détenus en fiducie par notre entreprise pour le compte de votre ancienne société MCK. Sur réception d’une autorisation écrite de MCK, nous transférerons le compte de MCK à un compte en votre nom personnel, Moise Katumbi, et facturons nos honoraires et déboursements », révèle-t-on.

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Avant de quitter la majorité au pouvoir en RDC, en octobre 2015, Moïse Katumbi, alors gouverneur du Katanga, avait étrangement des activités personnelles et lucratives dans le domaine des mines, principale richesse de cette province. Sa société, Mining Company Katanga (MCK) a été rachetée par Necotrans, sans qu’aucun détail ne soit donné sur les revenus de MCK ou sur le prix d’achat.

Tous les autres contrats de lobbying en faveur de Moïse Katumbi concernent des activités qui visent entre autres à plaider auprès des autorités américaines du Département d’Etat, ceux de la Défense ou même de la Justice en faveur de l’opposant congolais.  « Le but de cette approche est d’organiser une visite à Washington D.C pour M. Katumbi, y compris des rencontres directes entre lui et les responsables appropriés de l’administration Trump », explique même un des contrats.

Si des prestations du groupe américain Akin Gump Strauss Hauer & Feld LLP pour l’opposant Moïse Katumbi ne sont pas inconnues en République démocratique du Congo, le deuxième document de cette série, consulté par POLITICO.CD, avance un aménagement très récent, en date du 11 septembre 2017. Il annonce des changements qui font cette fois-ci intervenir deux autres firmes à savoir DCI Group LLC, et RMG Africa Advisors, LLC.

« Nos frais pour cette représentation, y compris tous les frais pour les membres de notre équipe, sont forfaitaires et fixés à 45 000 $ par mois », fait savoir ce contrat qui entre  en vigueur le 11 septembre 2017 et expire au 30 septembre 2018, avec une réévaluation en décembre 2017.

Collusion avec un élu américain

Par ailleurs, d’après un autre document, l’opposant Olivier Kamitatu a signé un contrat d’un an en tant que vice-Président du G7 avec la firme américaine Ballard Partner, basée à Washington. Selon l’entente, établit en anglais et traduit par les services de POLITICO.CD ( à conculter ici en Anglais) , le cabinet américain devrait toucher du G7 pas moins de 50 000 $ par mois. « Si un voyage international est exigé par le cabinet, ce ne sera qu’avec l’approbation du client« , renseigne le document daté du 03 octobre 2017, mais signé le 22 septembre 2017 par l’opposant Olivier Kamitatu.

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« Les frais seront payés comme suit: la première tranche de 150 000 $ étant dû immédiatement après l’exécution de la présente convention; deuxième versement de 150 000 $ échéant le 15 décembre 2017; et troisième versement de 150 000 $ échéant le 15 mars 2018; un quatrième versement de 150 000 $ échéant le 15 juin 2018« , ajoute le document qui explique que le cabinet américain facturera des coûts trimestriels.

Le même 03 octobre, sept Sénateurs américains dont  Elisabeth Warren, Edward Markey, Cory Booker, Richard Durdin, Benjamin Cardin, Christopher Coons et Sherrod Brown, tous démocrates, ont envoyé une lettre au président Donald Trump, lui demandant intervenir pour aider à mettre fin à la crise politique et sécuritaire en République démocratique du Congo « Nous demandons que vous utilisiez tous les outils disponibles pour faire face à des crises politiques, de sécurité et humanitaires de plus en plus inquiétantes« , disent-ils.

Toutefois, à la tête de ce groupe, Cory Booker, premier sénateur noir du New Jersey et le neuvième Afro-Américain à intégrer la chambre haute du Parlement américain, n’est autre qu’un client de Blueprint Interactive, ratachée à la Blueprint Communication, qui travaille également pour Moïse Katumbi.

En effet, selon un contrat (consultable ici) Blueprint  Communications, LLC (« Blueprint ») a été retenu par Gabara Strategies, une firme basée à Londres, pour mener des actions en faveur de l’opposant congolais.  Pour 25.000 USD par mois, cette société organise des visites pour Katumbi à Washington, tout en s’assurant que ce dernier rencontre des représentants des institutions des Etats-Unis, y compris ceux du Pentagone, ou encore de la Justice.

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La branche de Blueprint  Communications, basée à Washington (DC), offre des services de Communication et stratégie au Sénateur Booker, à en croire son site internet. Ni Moïse Katumbi, ou Blueprint Communications et encore moins le Sénateur Booker n’ont voulu répondre aux sollicitations de POLITICO.CD.

Si aucun lien de malversation n’a été établi par POLITICO.CD, il semble néanmoins clair que le Sénateur américain ait eu des contacts avec l’opposant congolais. Dans cet optique, l’intérêt soudain de Booker sur la RDC pose les bases de plusieurs interrogations.

Par ailleurs, la firme américaine est dirigée par Chad Kolton, qui a signé le contrat avec Moïse Katumbi. Sur le site internet de sa société, M. Kolton se vente d’avoir près de 25 ans d’expérience dans le développement de stratégies de relations publiques qui influencent « avec succès l’élaboration des politiques et répondent efficacement aux crises aux niveaux mondial, national et régional. »

« En tant que porte-parole des administrations républicaines et démocrates, il a été cité dans presque tous les grands médias du pays et a créé et publié des articles d’opinion dans des publications telles que le New York Times, le Washington Post, le Wall Street Journal et les Affaires étrangères« , explique-t-on sur sa biographie.

La firme promet des « bonnes quotations » pour ses clients auprès des médias tels l’Associated Press, Reuters, Bloomberg, le New York Times, le Washington Post, le Wall Street Journal, Fox News, CNBC, CBS, le Chicago Tribune, le Boston Globe, le San Francisco Chronicle, The Hill… dont beaucoup ont publié des enquêtes éclaboussant Joseph Kabila depuis l’année dernière.

En 2010, la Cour Suprême Américaine a rendu un arrêt autorisant les lobbys à participer aux campagnes électorales américaines dans les 60 jours précédant le scrutin, confortant encore plus la place des groupes d’intérêt sur la scène politique.  Toutefois, si l’activité du Lobbying est légale, elle a néanmoins souvent été accusée d’excès par les autorités qui cherchent à limiter ses influences.

Une efficacité en demi-teinte

Des officiels congolais et américains à Kinshasa

Le Lobbying de Moïse Kambi a semblé porter ses fruits l’année dernière, notamment sous l’Administration du président Barack Obama. L’ancien président américain a longtemps mené la fronde des pays de la Communauté internationale pour exiger le départ de Joseph Kabila.

Par ailleurs, au cœur de ce lobbying, Washington a adopté plusieurs sanctions contre des proches du président congolais, gelant leurs avoirs, tout en leur interdisant de fouler le sol américain. Cependant, Kinshasa a riposté. Une intense activité a également été initiée par le gouvernement congolais pour faire pencher la balance.  La RDC a signé avec une société israélienne spécialisée dans la sécurité et les nouvelles technologies, MER Security and Communication Systems, un contrat de 5 575 000 dollars couvrant une période allant du 8 décembre 2016 au 31 décembre 2017. (A lire dans la prochaine série de l’enquête)

« Je crois qu’il [Moïse Katumbi] s’est fait sérieusement avoir dans ce gaspillage d’argent aux Etats-Unis pour ternir l’image même de notre pays. On va pas en Amérique pour demander à être fait Président, c’est absurde. C’est les Congolais qui décident et visiblement, après la visite de Nikki Haley, même les Etats-Unis n’en veulent pas », commente un diplomate congolais sous le sceau de l’anonymat.

En effet, le duel semble tourner en faveur de Kinshasa depuis le passage de l’Ambassadrice américaine, Nikki Haley, dans la capitale congolaise. Envoyée par le président Donald Trump, qui ne s’était pas encore exprimé sur la situation en RDC, Mme Haley a accepté le report des élections prévue à la fin de l’année en cours, alors que des officiels américains rejettent la proposition des proches de Moïse Katumbi qui appellent à une transition sans Joseph Kabila.

« Nous avons investi pour redorer l’image de notre pays, je ne peux pas le nier. Mais c’est l’argent de l’Etat utilisé pour défendre ses intérêts, alors que les autres nous savons bien d’où viennent leurs fonds», ajoute notre source diplomatique.

« Nous avons obtenu de nos amis américains une compréhension plus claire de la situation au pays. Mais cela ne veut pas dire que nous quémandons l’intervention américaine. Non, nous traitons en respect mutuel et nous nous comprenons. Tout est fait dans l’intérêt de la RDC », explique-t-elle.

Moïse Katumbi n’a jamais accepté de répondre à nos sollicitations et à ses accusations. Au pays, la situation reste toujours tendue. Et après tant d’investissements dans le lobbying, l’opposant congolais parait toujours fragilisé, bloqué en exile et toujours dans le collimateur d’un pouvoir congolais qui ne veut pas jouer le jeu démocratique. Le risque d’explosion n’est toujours pas écarté.

2 comments
  1. rien q une campagne contre ceux qui luttent pour le changement du regime des bouchés…..apr tt un jour le vrais congolais reprendrond leur destin en main …….31 decembr ou doux soleil jour du changement et d liberté

  2. Ah l Afrique des personnages sans cerveaux , le blanc à toujours ça place face à des pourritures poussé par l argent l Oncle Sam va bien s amusé et rigolé

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